L’éclat disparu de la formation des mondes

On dirait une sorte de gigantesque cornet acoustique.

Cinquante pieds de long et une ouverture de vingt pieds. Cet énorme objet en aluminium, monté sur une base triangulaire en acier, pèse dix-huit tonnes. Il possède un double système rotatif qui permet de l’orienter en tous sens.

Un couple de pigeons y a fait son nid. Leurs fientes s’étalent généreusement sur la surface intérieure du cornet. Arno Penzias et Robert Wilson estiment nécessaire de le nettoyer. Les excréments sont probablement la cause des difficultés de calibrage de cette énorme antenne désormais inutilisée qui fut construite trois ans auparavant par les Bell Telephone Laboratories pour capter les communications du satellite Echo.

La scène se passe en 1964 dans le New Jersey, à Crawford Hill.

Nettoyage des fientes de pigeons dans l'antenne de Crawford Hill.

Nettoyage des fientes de pigeons dans l’antenne de Crawford Hill.

Les deux ingénieurs des Bell Labs veulent reconvertir l’antenne en radiotélescope pour mesurer le rayonnement radio de la Voie lactée. Mais le nettoyage n’y fait rien ou presque. Le radiomètre situé dans la cabine d’équipement persiste à enregistrer un « bruit de fond » plus élevé que prévu.

Le « bruit » radiométrique s’exprime par une température et se mesure en Kelvin. Déduction faite du « bruit » dû au récepteur, à l’agitation des électrons de l’antenne et à l’absorption par l’atmosphère, subsiste toujours un excédent incompréhensible de 3,5 K sans lien avec le rayonnement de la Voie lactée. Quelle que soit l’orientation de l’antenne, quelles que soient les saisons.

Arno Penzias et Robert Wilson s’achoppent à cette énigme sans se douter que le « bruit de fond » qu’ils captent depuis plusieurs mois est la trace d’une lumière fossile vieille de presque quatorze milliards d’années. Un rayonnement thermique provenant de la première lumière apparue quelque 370.000 ans après la création de l’univers et qui, depuis lors, ne cesse de refroidir mais nous parvient encore.

Une sorte d’écho considérablement atténué de ce brasier primordial que l’on nomme Big Bang.

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Well boys, we have been scooped ! « Eh bien les gars, nous nous sommes fait doubler ! » déclare Robert Dicke.

Avec deux collaborateurs de l’université de Princeton, Roll et Wilkinson, il travaille sur l’hypothèse d’un fond diffus cosmologique qui serait une radiation reliquat de l’univers primordial. Pour tenter de détecter ce rayonnement, les chercheurs de Princeton préparent la construction d’une antenne permettant d’effectuer des mesures dans le domaine des micro-ondes.

C’est précisément cette détection que Penzias et Wilson viennent d’effectuer.

Sans le savoir.

Un rayonnement lumineux infime qu’aucun œil ne peut plus percevoir. Un vague « bruit », qu’on peine à différencier d’avec celui qu’eût pu provoquer sur un radiotélescope une déjection de pigeon. Un « bruit » vieux de quatorze milliards d’années. Le « bruit » de la toute première lumière.

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Georges Lemaître note en 1931 :

L’évolution du monde peut être comparée à un feu d’artifice qui vient de se terminer. Quelques mèches rouges, cendres et fumées. Debout sur une escarbille mieux refroidie, nous voyons s’éteindre doucement les soleils et cherchons à reconstituer l’éclat disparu de la formation des mondes.